Pour mieux comprendre les conséquences stratégiques et scientifiques à court, moyen et long terme de l’émergence du Covid-19 en France, et interroger la place de la science dans la gouvernance du « monde d’après », notamment du monde de l’eau, Eau de Paris a accueilli le professeur Didier Sicard, dans le cadre de son « Radio Café Sources » Jeudi 4 juin dernier. Comparaison de l’écologie à un « jeu d’échecs » où chaque geste compte, réflexions sur la fraternité et le vivre ensemble, relation entre science et politique… Une heure d’échanges passionnants, qui ont particulièrement mis en lumière le rôle fondamental des services d’eau dans la veille et le suivi de l’épidémie, et salué le positionnement novateur d’Eau de Paris et de son laboratoire en la matière.
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La conférence s’est déroulée en présence de Benjamin Gestin (Directeur général de Eau de Paris), Alban Robin (Directeur de la Recherche, du développement et de la qualité de l’eau) et d’Elisabeth Thiéblemont (Conseillère en Stratégie et en Prospective auprès de la Direction générale d’Eau de Paris). Résumé des différents points abordés …
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Quelles sont les origines de la pandémie ?
A l’origine, les coronas virus sont hébergés par les chauves-souris qui, avec le temps, ont développé une capacité de résistance à la maladie. Comment donc ces virus passent de l’animal à l’humain ? Selon le professeur Didier Sicard, il y aurait deux hypothèses permettant d’expliquer la transmission du COVID 19 à l’Homme.
La première serait liée à la déforestation et à la perturbation de l’équilibre des écosystèmes. Le remplacement progressif des forêts par des plantations d’arbres fruitiers engageraient les chauves-souris à adapter leur alimentation. Ainsi, plutôt que de se nourrir en milieu forestier, elles jetteraient leur dévolu sur les cultures contaminant ainsi les différents fruits par leurs mictions fréquentes.
Autre possibilité : la commercialisation et la consommation d’animaux sauvages pourtant interdite en Chine. L’épicentre de l’épidémie, la ville de Wuhan, pratiquait en effet des ventes illégales d’animaux sauvages dans des conditions déplorables en termes d’hygiène. Comme pour les précédentes épidémies de SARS, « la pratique culturelle l’a emporté sur la prudence » a déclaré Didier Sicard. Dans ce type de marché, les animaux sont entassés les uns sur les autres, dans un état de stress extrême et leurs sécrétions se mélangent. Il est alors plausible que le SARS-CoV-2 soit le résultat d’une hybridation entre deux génomes d’espèces animales différentes, comme le pangolin et la chauve-souris. Toutefois, il est important de différencier l’animal générateur du virus et celui/ceux faisant office de « courroie de transmission ». Il faut encore poursuivre les études pluridisciplinaires mêlant écologie, éthologie et ethnologie pour remonter aux racines du problème.
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La pandémie était-elle prévisible et comment l’éviter à l’avenir ?
Oui et non. Didier Sicard indique qu’il était difficile de prévoir une épidémie d’une telle ampleur. Les précédentes épidémies SARS provoquaient des symptômes visibles par leur gravité permettant d’isoler rapidement les personnes infectées. Aujourd’hui, le SARS-CoV-2 se répand de manière « silencieuse » avec des symptômes bénins pouvant s’apparenter à ceux d’une rhinopharyngite ou d’une grippe. Cela n’a pas permis d’identifier assez rapidement les premiers cas COVID, sans doute présents depuis la fin de l’année 2019. Cependant, nous aurions dû prévoir que nos choix économiques auraient des incidences écologiques. La déforestation a déjà été à l’origine de catastrophes sanitaires. Aux Etats-Unis, la maladie de Lyme s’est développée à cause de la diminution de la couverture forestière et de la disparition de nombreux mammifères dont le sang était indispensable à la survie des tiques. Faute de mieux, les tiques se sont rabattues sur le sang humain, devenant ainsi par leurs piqures, le vecteur d’une maladie grave et dégénérescente. L’écologie est « comme un jeu d’échec », on ne peut bouger un pion sans que cela n’ait un impact sur les autres. Pour le professeur, il faudrait créer une institution extraterritoriale plus contraignante que l’OMS pour accompagner et contrôler les pratiques des différents pays.
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Y-aura-t-il un rebond et le virus va-t-il perdurer de manière saisonnière ?
Selon Didier Sicard, la réponse est non. Il n’y a pas d’autre réservoir de virus que l’humain. La transmission ne s’effectue que pas le contact avec des sécrétions/déjections de personnes infectées. Si nous maintenons nos efforts en matière de gestes barrières et de distanciation sociale, les circonstances de départ d’une nouvelle vague n’existeront plus.
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Comment encourager la prudence et la discipline citoyenne ?
Jusqu’ à présent bon nombre de comportements vertueux, sanitairement parlant, étaient liés à la peur de contracter le COVID 19. Pour autant, on ne peut pas compter sur la seule angoisse collective et la peur de l’autre pour empêcher la propagation du virus. Au contraire, il faut penser la distanciation sociale comme un moyen de nous protéger les uns les autres, d’exercer notre fraternité et notre désir de vivre ensemble, en sécurité.
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A partir du 16 mars dernier, n’a -t-on pas subi la « dictature des médecins » ?
« Au fond, il n’y a rien de pire que quand la science prend le pouvoir » a insisté Didier Sicard. Il est regrettable que les décideurs politiques se soient subordonnés aux scientifiques et médecins. Il faut une scission totale entre les deux. Le scientifique doit toujours rester un conseiller du politique. Autrement, nous risquons de tomber dans les écueils de certains régimes totalitaires qui nous ont précédés.
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Quelle doit être l’attitude des citoyens vis-à-vis de l’Etat ?
« Le citoyen ne peut demander des certitudes en période d’incertitude ». Didier Sicard a exprimé la nécessité de faire confiance à l’Etat, d’accepter le caractère disciplinaire des mesures et de ne pas réagir sous le coup de l’émotion. On a, par exemple, beaucoup entendu parler du problème de l’approvisionnement et de la gestion des stocks de masques. Plutôt que de s’indigner indéfiniment, ne peut-on pas chercher des solutions alternatives comme la confection domestique ? Chaque citoyen doit se responsabiliser personnellement plutôt que d’attendre une réponse évidente à la crise de la part du gouvernement. Cela passe par l’application des gestes barrières, certes, mais aussi par les initiatives citoyennes et solidaires.
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Quel est le rôle des services publics de l’eau en matière d’analyse de la transmission du virus ?
Les services de l’eau sont un « acteur majeur » de santé publique. Le professeur émérite de la Sorbonne n’a pas lésiné sur le choix des mots. Il a salué l’initiative d’Eau de Paris et l’existence de son laboratoire spécialisé dans l’étude des virus hydriques. La méthodologie développée par les chercheurs a permis de détecter rapidement la présence du SARS-COV-2 dans les eaux usées.
Les services de l’eau ont donc un rôle primordial par leur capacité de veille et suivi de l’épidémie, le virus étant présent dans les sels avant même l’apparition des premiers symptômes. L’eau en elle même est un indicateur très précieux sur lequel il faut se pencher consciencieusement afin d’anticiper la propagation d’un nouveau virus. Des études rétrospectives pourraient également être menées afin d’analyser la circulation du SARS-COV-2 en aval. Cela nécessite d’étudier la faisabilité technique d’une telle étude qui impliquerait la création de banques d’eau afin de conserver les échantillons prélevés.
Autant de pistes prometteuses pour les acteurs de la gestion publique qui pourront mutualiser leurs approches, techniques et expertises. Une action commune à mener en faveur de la recherche publique.