[INTERVIEW] Tempête Alex : la gestion de crise vue par le directeur général de la régie d’Eau d’Azur

Début octobre, la tempête Alex a frappé de nombreuses communes dans les Alpes-Maritimes détruisant la quasi-totalité des villages du Haut Pays Niçois. Les dégâts sont considérables, en particulier pour Eau d’Azur, la régie de la Métropole Nice Côte d’Azur : 15 équipements d’eau potable dont des réservoirs, stations et usines ont été totalement emportés dans les vallées, six points de production dégradés et plus de 25 km de réseaux d’eau ont été entièrement détruits. Une situation qui a nécessité la mobilisation de 150 agents de la régie Eau d’Azur dont le travail colossal a permis de livrer 15.000 litres d’eau en bouteilles dès le lendemain du passage de la tempête, et d’alimenter en eau potable plus de 80% des habitants au réseau d’eau public en moins d’une quinzaine de jours seulement.

 

Vincent Ponzetto est directeur général de la régie Eau d’Azur depuis mars 2020. Dans cette interview, il revient sur la gestion globale et stratégique d’une catastrophe naturelle comme il l’a vécue suite au passage de la tempête Alex. 

 

 


De manière générale, comment avez-vous vécu cette crise ?

 

Comme pour toute crise, nous avons été traversés par des émotions très intenses, avec un double sentiment très contrasté et très fort : d’un côté on est porté par un souffle d’enthousiasme issu de toutes les énergies qui se mettent en œuvre pour faire face à la crise, et en même temps on ressent une tristesse vis-à-vis du dénuement des victimes et de l’état des dégâts causés par cette catastrophe naturelle, qui prend aux tripes.

 

Au-delà de ces ressentis, je pense que la régie d’Eau d’Azur, avec ses six ans d’ancienneté seulement, s’en est très bien sortie. Comme j’ai pu le dire à nos équipes, Eau d’Azur a acquis ses lettres de noblesses en faisant face à cette crise de manière assez exemplaire. Ce fut notamment possible grâce au périmètre de la régie, complet depuis le 1er janvier, avec l’intégration des 49 communes de la métropole. Cette taille critique et la nature de la régie personnalisée nous a garanti tous les moyens nécessaires pour réagir efficacement et rapidement, qu’il s’agisse de la maitrise d’ouvrage, la maitrise d’œuvre, l’exploitation, le centre d’appel intégré, jusqu’à l’agence comptable interne, qui a permis d’engager très rapidement des dépenses. Avec l’ensemble du circuit de décisions intégré, la régie personnalisée a été un élément clé de notre réactivité et nous a fait gagner beaucoup de temps.

 

Quelles ont été les premières étapes d’organisation pour surmonter cette situation de crise ?

 

En premier lieu, nous avons créé une cellule de crise où nous avons pris très rapidement la décision de mettre à disposition de la régie trois hélicoptères pour joindre les communes sinistrées. Nous avons également établi des « dropzone », des zones d’atterrissage et de décollage d’hélicoptères, dans les locaux de notre agence la plus proche des zones touchées par la tempête. C’était une priorité puisqu’il s’agissait du seul moyen de transport possible pour alimenter les zones sinistrées en eau potable, toutes les routes étant coupées et tous les réseaux d’eau complètement détruits. En une trentaine de rotations d’hélicoptère dès la première journée, nous avons réussi à approvisionner les communes avec 15 000 bouteilles d’eau, tout en envoyant plusieurs techniciens ingénieurs sur le terrain.

 

Dès dimanche matin, nous étions ainsi capables d’établir un état des lieux des dégâts commune par commune et d’identifier également les premières solutions d’urgence.

 

 

Quelles ont été les principales difficultés auxquelles vous avez été confronté ?

 

La première difficulté a été d’avoir très vite une vision claire et objective des priorités et des actions à prévoir, alors même que les dégâts étaient immenses, avec 25 km de réseau d’eau emportés, soit 70 % des infrastructures du Haut Pays. De surcroît, il a fallu gérer l’approvisionnement en matériel et en fournitures (avec 15 000 à 20 000 bouteilles d’eau distribuées par jour), alors même que nous étions sur une période de week-end.

 

Ensuite, il a fallu coordonner les rotations de nos trois hélicoptères pour assurer la sécurité de nos agents, celle du matériel héliporté (4×4, mini-pelles…) et des hélicoptères eux-mêmes, ce qui a nécessité la mise à disposition d’une personne dédiée.

 

Enfin, en parallèle de la forte mobilisation des équipes opérationnelles sur le terrain, une partie du personnel a voulu se rendre disponible et a pu se sentir frustré de ne pas pouvoir venir aider. Il a fallu gérer cette frustration, et réussir à organiser les actions d’urgence sur le terrain tout en répondant aux nombreuses sollicitations de nos différents interlocuteurs, internes et externes. Nous avons reçu énormément de propositions d’assistance, y compris des membres du réseau FEP, mais c’était trop tôt. Il nous a fallu tout d’abord comprendre les urgences, définir les besoins avant de pouvoir organiser l’intervention de ressources nouvelles.

 

 

Comment prévoyez-vous de réparer les dégâts causés par la tempête ?  

 

Face à l’urgence nous avons d’abord posé 10km de réseau en provisoire. Puis nous sommes allés chercher de nouvelles sources : nos sources habituelles ayant disparu, nous avons réutilisé des sources abandonnées pour réalimenter la majorité des sinistrés en « eau de service » (eau non potable mais nécessaires à la vie quotidienne, en complément des bouteilles d’eau potable distribuées).

 

La deuxième phase a été de rendre cette eau potable, en conformité avec l’ARS : en 15 jours, 95% d’eau potable était déjà rétablie ; nous sommes désormais aujourd’hui quasiment à 100%.

 

Désormais, notre priorité est de sécuriser cette pose urgente pour passer l’hiver : nous cherchons à assurer les sources d’eau situées en montagne avant qu’elles ne gèlent. Cela signifie de protéger les canalisations posées, soit en les enfouissant, soit en les isolant.

 

En parallèle, nous avons entamé des études pour tout remettre à neuf et reconstruire les réseaux à partir du printemps, pour pouvoir répondre aux fortes demandes de l’été à venir et sécuriser nos approvisionnements en eau.

 

Sur le long terme, c’est l’occasion de repenser notre réseau et de restructurer le maillage de nos ressources, pour garantir la pérennité de notre approvisionnement. L’enjeu est de reconstruire, sans pour autant remettre en cause l’effort d’investissement déjà engagé par la régie pour pérenniser son maillage de ressources. Cela représente un énorme défi financier, avec un coût des travaux estimé à 30 millions d’euros : sachant que la régie réalise un investissement annuel de 25 millions d’euros, cela revient à doubler notre capacité d’investissement, et ce en partie grâce à des demandes de subventions.

 

Etiez-vous préparé à ce type de crise ? Quelles pistes de travail identifiez-vous pour la suite, en termes de capitalisation sur la gestion de crise ?

 

Ayant passé 5 ans aux Antilles, j’ai déjà vécu plusieurs crises : j’ai dû gérer à la fois des tremblements de terre et des cyclones, avec des destructions majeures. Pourtant, chaque crise est différente : les procédures de gestion de crise permettent bien sûr de se préparer, mais restent toujours insuffisantes.

 

Il existe néanmoins plusieurs similitudes entre les différentes crises que j’ai vécues : l’absence totale de moyens de communication (téléphone, radio) avec les sinistrés et les équipes dans les zones touchées au cours des premiers jours, l’impossibilité d’aller sur place en raison des routes coupées et enfin la mise en place de la cellule de crise et l’énergie qui se développe chez l’ensemble des collaborateurs pour participer à surmonter la situation de crise.

 

Notre gestion de la crise actuelle s’est située entre organisation et spontanéité. Avec la crise Covid, nous étions déjà engagés dans la mise en place de procédures de gestion de crise et l’identifications d’outils, tels que les moyens de communication en visioconférence par exemple. Mais nous devons encore aller plus loin, en rédigeant des procédures écrites en fonction des différents types de crise (crise sanitaire, crise climatique, pollution…) et en renforçant nos outils de suivi de données et d’automatisation du reporting.

 

Un point particulier sur lequel il nous reste à travailler est également celui de l’organisation du partage d’informations en période d’urgence quels que soient les différents publics concernés. Abonnés, communes, services de l’Etat et membres de la cellule de crise, collaborateurs internes et représentants du personnel, réseaux professionnels… autant de publics qu’il faut arriver à alimenter en toute transparence, tout en garantissant une fluidité et une homogénéité des informations.

 

Dès le lendemain de la tempête Alex, les membres du réseau France Eau Publique vous ont fait part de leur solidarité et de leur volonté d’aider afin de surmonter cette crise ensemble. Qu’est-ce que cela vous a évoqué ?

 

Cette solidarité fut d’abord un grand soutien moral : il est bon de savoir que l’on n’est pas seul dans la crise et que l’on peut compter en cas de besoin sur le réseau, en termes de compétences techniques, de moyens matériels, humains et financiers. Une fois l’urgence passée, nous savons également que nous pourrons faire appel à des compétences techniques et des capacités d’intervention en maitrise d’œuvre et suivi de chantiers, si la situation le nécessite. En parallèle, nous pourrons mettre notre expérience au profit de tous, en réalisant un bilan et en capitalisant sur cette gestion de crise climatique.

 

Crédits photos: @Eau d’Azur

 

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