EAU DE PARIS – Atelier des Métamorphoses


Eau de Paris & « Amour et désamour des métropoles : à quels besoins en eau devrons-nous répondre en 2030 ? »

Quelle métropole désirons-nous pour demain, dans un contexte post-covid qui promet des ruptures dans le fonctionnement des grandes villes ? C’est la question principale que s’est posée Eau de Paris le mardi 8 novembre lors de la 8ème édition des Ateliers des Métamorphoses au titre évocateur : « Amour et désamour des métropoles : à quels besoins en eau devrons-nous répondre en 2030 ?

Pourquoi le rêve des métropoles se fissure-t-il progressivement ? Comment les métropoles vont-elles se transformer ? Quel est l’avenir des 22 aires urbaines françaises ? Quels seront les impacts sur les services publics en général, sur le service de l’eau en particulier ?

LES INTERVENANTS

  • Pascal Brice, Enarque, ex-ambassadeur, ancien directeur de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), conseiller municipal de Malakoff. Pascal Brice est un acteur politique et social de terrain. Aujourd’hui président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), il mobilise ce réseau de 850 associations pour agir autrement face aux mutations profondes de la société et les montées des inégalités notamment dans les métropoles.
  • Nadine Levratto, est directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire EconomiX. Elle enseigne également à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, à l’université Paris-Nanterre et à Sciences Po Rennes. Elle codirige la Chaire Ville, Industrie et Transition Ecologique et mène des missions d’expertise auprès du Bureau International du Travail. Ses recherches sur la “Ville productive” et ses réfléxions sur les villes vont nous aider à mieux comprendre ce que pourrait être l’attractivité économique des métropoles de demain.
  • Morgan Poulizac, fondateur du cabiner Objeu, est spécialisé dans le conseil en politiques publiques. Il a enseigné le management public à HEC et à Sciences Po où il a par ailleurs dirigé le master en urbanisme pendant cinq ans. Ses travaux portent notamment sur les transformations urbaine. Membre du comité éditorial de la revue Urbanisme, conseiller scientifique de l’association de prospective Futuribles sur les questions urbaines, Morgan Poulizac s’appuiera sur sa réflexion “Ville, Quand reviendras-tu?” pour interroger la vision urbanisme des métropoles de demain.

SYNTHÈSE RÉALISÉE PAR EAU DE PARIS

Le premier exercice auquel se sont attelés nos invités a été de définir ce qu’est une métropole. D’emblée, tous s’accordent à dire que la métropole se définit par rapport à son attractivité économique et sociale, par les effets d’agglomération externe qu’elle suscite (« les entreprises et individus se localisent à côté des entreprises, dans un effet tache d’huile » Nadine Levratto) et la nature des interactions avec les territoires avoisinants (ruissellement, captation) qu’elle génère.

Pourtant, il semble aujourd’hui que « l’opportunité de la ville n’existe plus » selon les propos de Morgan Poulizac. Elle serait même synonyme de trappe à pauvreté avec une exacerbation des inégalités constatées au moment du COVID (notamment face au télétravail). Si les métropoles n’ont pas l’exclusivité des difficultés, elles les concentrent. Pour Pascal Brice « si on laisse s’installer ce clivage profond, en effet alors, la métropole va être en danger. Il faut « retrouver une façon de faire coïncider dans la ville ordre et désordre ».

Autre aspect : on s’est rendu compte, pendant le confinement, à quel point la logistique urbaine est une fonction nécessaire pour faire tourner la ville. La crise sanitaire, qui a ouvert une brèche géante au numérique dans la ville, a montré la césure qui existe entre ceux qui se servent de la ville et ceux qui servent la ville.En façade, on observe un retour à la normale post-covid. Mais en réalité la situation des travailleurs précaires et des jeunes actifs s’est aggravée. Les jouisseurs de la ville sont de moins en moins nombreux.

Les trois intervenants, dans leur domaine respectif, insistent sur le fait qu’une métropole qui ne gère pas son « équilibre » sociale et économique, ne peut survivre : n’attirant plus, elle dépérit.

  • Pour Morgan Poulizac, l’équilibre se pense notamment en termes de vision urbanistique. La métropole doit pouvoir intégrer différentes catégories de population, y compris les jeunes, les précaires, les personnes âgées. Elle doit favoriser la mixité des usages. Elle doit jongler entre espaces de désordre, lieux alternatifs et présence des services publics.
  • Pour Nadine Levratto, l’équilibre se pense en termes productif. Les métropoles sont des lieux de production : la « géographie industrielle révèle qu’elles accordent un grand nombre d’emplois industriels. Une métropole qui fonctionne uniquement par le serviciel ne marche pas sur ses deux jambes ». L’Ile-de-France reste un acteur majeur de l’industrie, à condition de bien nourrir les relations entre Paris et les territoires. Le cas de GrandLyon est cité comme référence. Cet équilibre entre industrie et services est un enjeu d’avenir. Les politiques publiques doivent permettre de redynamiser les industries et rendre durables leurs activités, d’un point de vue écologique et social. La création d’une industrie urbaine, non consommatrice de foncier, est à ce titre essentielle pour éviter que les élus soient soumis à une trop forte pression des promoteurs.
  • Pour Pascal Brice, l’équilibre vise le rapport entre exclusion et inclusion. Le plein emploi n’est nullement un indicateur fiable d’amélioration : la pauvreté enracinée est invisible. En réaction, des formes de solidarité nouvelles se créent. L’enjeu demain va être de maintenir « les classes populaires en métropole tout en intégrant de nouvelles populations pour augmenter la mixité ». Les classes populaires sont le terreau de la solidarité urbaine. Ces questionnements sont complexes, surtout pour des villes qui ont des leviers très faibles en matière de foncier.

Les scénarios prospectivistes concernant le devenir des métropoles selon cette approche sensible sont variés, plus ou moins positifs, plus ou moins inquiétants. Trois tendances se dessinent.

  • La « tentation de Venise » est un concept qui reflète un fonctionnement de la ville qui ne répond qu’à un seul usage : Venise est la ville des amoureux où le tourisme règne en maître, avec comme service urbain principal le « be to rent » (airbnb et co-leasing amoureux selon l’exemple emprunté par Morgan Poulizac). C’est un scénario que Paris peut connaître. Ces villes, appelées aussi villes musées par Nadine Levratto, sont à haut risque vis-à-vis de la production. Elles sont très dépendantes de l’extérieur et donc vulnérables à toutes perturbations.
  • Des schémas de villes se dessinent en Californie ou à Londres, qui dévoilent des « gated communities ». Des quartiers privés se développent : ils ont leur propre système d’eau, d’énergie, leur police privée. Londres est déjà typiquement dans ce modèle.
  • L’« obsession viennoise » est un autre signal faible qui invite à réfléchir à une évolution des villes très pensée, qui cherche à maitriser son équilibre, qui organise quasi-systématiquement la marginalisation. « La ville de Vienne appuie ses choix urbanistiques sur l’obsession de l’adaptation économique et citoyenne, de l’inclusion. Elle est obsédée par l’équilibre précaire et l’inclusion raisonnée des marginalités » nous révèle Morgan Poulizac.

Nos trois invités ont fait ressortir l’importance de la créativité et des mouvances alternatives comme ressort à ces scénarii. Il faut opérer une transition profonde. Les politiques publiques doivent ainsi jouer à l’échelle nationale sur la diversité, la pluralité d’activités et la décentralisation pour que les métropoles puissent être solides face aux aléas. A l’intérieur de ces nouveaux systèmes, à une échelle plus locale, elles doivent tisser de nouvelles solidarités et de nouvelles dynamiques économiques (servicielles-industrielles).

Pour Eau de Paris, cette conférence est inspirante. A chaque scénario, c’est une vision du rôle et des conditions d’exercice du service public de l’eau, à Paris et en Île-de-France demain, qui se joue.

Pour aller plus loin : la page dédiée aux Ateliers Métamorphoses d’Eau de Paris et la chaîne Youtube d’Eau de Paris.